
Fuite océane
Fuir ce monde, échapper aux contraintes quotidiennes.
Se laisser porter de fleuve en fleuve, Gironde, Seudre, Charente, Sèvre-Niortaise, Lay.
Revenir à des paysages perdus dans le fatras du grenier de ma mémoire. Des marais constitués de canaux, de près, de digues. Là une écluse, là une maison esseulée au milieu de nulle part.

Lieux où l’on ne sait plus où commence la mer et où se finit la Terre. Une côte est une frontière bien délimitée, agissant comme un mur. Mer et terre se mêlent dans un marais comme un vieux couple d’amoureux tantôt s’enlaçant, tantôt se disputant. Une tempête, et la mer l’emporte, un soleil desséchant et la mer se retire laissant une terre asséchée couverte de végétaux couleur vieil or.

Des odeurs humées au bord de ce canal, debout sur un ponton d’accostage tenant sur des pieux ancrés profondément dans la vase. Le soleil est bas sur l’horizon, des cabanons sans vie m’entourent, l’un dresse fièrement sa cheminée entre des tuiles. L’humidité tombe et commence son travail de refroidissement, du vent aussi venu de la mer à quelques kilomètres de là. Premier contact avec ce paysage marécageux. Un marais ouvert, un marais maritime, d’estuaire, celui de la Seudre.
Moins domestiqué que celui que je traverserai plus loin, après le coucher du soleil, ou que celui de la baie de l’Aiguillon. Une entrée en matière, un premier acte post-urbain. Un avant-goût de quatre jours de vent, de pluie, de soleil, de grains, de grêle, d’embruns, de sable.
Marais fil conducteur jusqu’aux marais d’Oléron traversés un peu vite.
Me voilà partie, pour une promenade en voiture de quatre jours, jamais loin de la mer toujours présente, en actrice principale.


Est-il seize heures ? Dix-sept heures ? Nous sommes un mardi et il faut sortir de la métropole . Des bouchons, des bouchons, plus d’une heure pour me libérer de cette mélasse urbaine.
Vers vingt heures au bord de ce marais. Enfin je respire ! Personne, je suis seule.
Fuir cette métropole étouffante, ce monde de fous, ce monde écœurant qui me donne la nausée.
Fuite éphémère bien sûr, protégée dans une bulle incontournable. Sans de tels moments, impossible de vivre, quel sens aurait notre vie ? Il y a bien là-bas, dans le tumulte métropolitain, quelque part, un amour laissé quelques jours. Un amour donnant aussi du sens à ma vie. Un amour qui me rappellera.
Cet être aimé me répète qu’il y a du sel, de l’eau salée dans mon sang. A tel point qu’il me faut ma dose d’eau de mer, d’embruns, d’air iodé, le cri des goélands, l’odeur de la vase, le frétillement des bulles d’air montant de la vase de l’estran à marée basse, l’horizon de la liberté au loin, les vagues, l’écume, un cocktail marin sans lequel je mourrais.
Fuite illusoire car on n’échappe pas à ce monde qui nous étouffe, on n’échappe pas à la condition humaine.
Ils nous rattrapent toujours, nous attrapent, nous happent.

Vers l’Ouest le soleil tombe lentement derrière un ciel voilé orangé ; en avant, des arbres se découpent, quelques cabanons de marais semble-t-il aussi.
Je repars pour me rendre plus loin, plus proche de l’entrée de l’estuaire, sur un môle où je cherche une scène à figer sur le capteur électronique mais rien, rien ne m’apparaît. Rien que la mer ou ce mélange saumâtre mi-doux mi-salé d’une embouchure de fleuve, de l’autre côté du parapet qui me sépare de l’élément liquide.
Le vent forcit un peu, un petit force 4 sur l’échelle Beaufort. Il fait plus frais.
Je remonte dans ma coquille métallique et pousse jusqu’au village fortifié de la fin du 16ème siècle et militarisé au 17ème siècle dans sa configuration contemporaine. Ce village place forte est situé dans une vaste étendue de marais maritime. Marais ayant succédé au Golfe de Saintonge de l’époque gallo-romaine qui se comblera progressivement à partir du 10ème/11ème siècle. Champlain, fondateur de la ville de Québec y est né. Il s’agit de Brouage.

Me voilà donc vers onze heures du soir à traverser ce village, et tout à coup, à l’entrée de la rue principale, une image. Je gare la coquille, coupe le moteur, sors le trépied photographique, le boîtier photographique, et hop : clic-clac, dans la boite !
Et alors je me remémore toutes les fois où je suis venue avec mes parents, mes grands-parents, mes enfants, et une des dernières fois avec mes parents, et l’être que j’aime aujourd’hui. Tout défile à grande vitesse, il fait nuit, aucune voiture, la rue est déserte, seuls les coassements des grenouilles hors les remparts fendent le silence, et toutes ces ballades dans ce village me reviennent. En quittant le village, à l’autre bout de la rue, cette photo, une diapo, sur laquelle se trouvent papa et maman, sur les remparts ; c’était au début des années 1980.
Maman est partie depuis, en mai 2020, papa est toujours là, je passerai un peu de temps avec lui dans trois jours.

Bizarre de me trouver dans ce lieu maintes fois fréquenté, et qui, en cet instant nocturne, avec cet éclairage de rue tamisé, seule dans cette rue, me semble autre. Je vois bien des murs éclairés familiers et d’autres en silhouette. Il y a ce parking à côté de ma coquille, le parking où nous nous étions garés, avec mes parents et l’être aimé, la dernière fois où je suis venue avec papa et maman. Je me raccroche à ces murs, ces pavés, ces remparts pour y ramasser des bouts de ma vie, ceux enfouis sous un tas de choses de mon grenier mémoriel. Des silhouettes de pierre en écho aux silhouettes de mon enfance, de mon adolescence, de ma jeunesse. Mes enfants sont là aussi, leur image, eux aussi donnent un sens à ma vie.
Allez hop, me voici à nouveau dans ma coquille mobile, je file de nuit à l’entrée de la Charente, côté sud. Que fait-elle donc de nuit là-bas ? J’y cherche une scène de nuit étoilée en bord de mer mais je ne la trouve pas. La fatigue me gagne, mieux vaut repartir vers La Rochelle, dans la maison d’enfance. Demain je repars vers une autre embouchure.
Acte II
Une porte d’écluse m’arrête, je sors, prends quelques clichés, et un grain, le vent forcit, il pleut, le boîtier photo est trempé ; la lentille frontale de l’objectif aussi. Je rentre dans la coquille y essuyer le matériel. Un trou entre deux grains. Vite, clic-clac.
Des habitants du marais installent un nouveau portail, échanges de bonjours, leur maison jouxte l’écluse.
Que se disent-ils ? Quelle est donc cette folle photographiant une écluse sous la pluie ?
Cette pluie, ce vent, ces grains, la Sèvre-Niortaise et la mer à moins d’un kilomètre. Tout cela me rappelle des sorties en mer en voilier. Notamment cette fois où nous avions rallié le pont de l’île de Ré depuis le port de Saint-Denis d’Oléron en moins de deux heures avec un voilier de six mètres.
Rejoindre ensuite Saint-Martin de Ré n’avait pas été facile car il a fallu remonter au près, allure que ce bateau n’appréciait guère. La nuit commençait à tomber, le bateau luttait contre le vent fort, j’hésitais alors à rebrousser chemin au portant vers le port des Minimes. Nous parvînmes tout de même à Saint-Martin, l’écluse étant fermée nous fûmes contraints de nous amarrer au ponton de l’avant-port. Ce fût une nuit mouvementée tellement le ponton était ballotté.
Ce temps de traîne sur la terre ferme est néanmoins moins sportif. Un bain de « mauvais temps » appréciable avant un été probablement (sans certitude scientifique) très chaud et très sec, comme cet horrible été 2022 où je fus heureuse de me retrouver sous la première pluie depuis des semaines, un soir d’orage sur le parking de ma résidence ; les voisins avaient sans doute vu une folle dansant sous la pluie. Peu me chaut.



Le bonheur ce contact avec le marais de la baie de l’Aiguillon. Ce marais est une vaste zone autour de l’embouchure de la Sèvre-Niortaise, résultant d’un envasement et d’une poldérisation datant du moyen-âge, et ensuite du 17ème siècle où de premières digues furent érigées. On y trouve des canaux, des près salés, des champs cultivés, des vaches, des vendéens et des charentais-maritimes.
Ainsi donc au milieu d’un paysage connu et familier.
Un ressourcement que de sentir ces odeurs, cette eau de pluie ruisselant sur mes joues, ma veste imperméable et mon pantalon ; un ruissellement de haut en bas celui-là, suivant la loi de la pesanteur et pas les lois sociales.
Des éclaircies ensuite, des lumières, des couleurs changeant de minute en minute. Vite, clic-clac.
Je repars, des vaches, puis un objet étrange dans le près en contre-bas attire mon regard. Je m’arrête, descends, tourne autour de l’objet : une barque avec des mécanismes constitués de roues dentées et de manivelles. Devant, un panneau de bois ressemblant à une porte. Bateau-porte ? Ou bateau ancien de dragage des canaux ?
Le tout finira dans la boite.




Ma coquille m’emporte ensuite plus loin, à l’embouchure du fleuve suivant : Le Lay. Fleuve que je traverse, passant devant un restaurant où j’ai mangé avec mon papa ; la dernière fois avec lui au restaurant.
A cette embouchure, en 2010, Xynthia, la Lune et la mer ont tué plusieurs personnes, les emprisonnant noyées dans leur maison. Triste condition humaine.
Je poursuis jusqu’au port de la Jard-sur-mer, non, un autre port, celui de la Tranche-sur-mer ? Une jetée vers la mer, repérage, puis quelques photos me viennent. Retour à la voiture pour prendre le matériel. Et… clic-clac.

Puis direction le port de la Jard.
Du vent, beaucoup de vent, un filet installé, protégeant la capitainerie et ses abords, ainsi que le fond du parking, du sable de la plage juste derrière.
Attention donc au matériel : sable et matériel photo ne s’apprécient pas du tout !
Envie d’un café. Un bar-restaurant est ouvert. Sonnerie du téléphone, ce n’est pas Pink-Floyd, c’est celle attribuée à mes enfants. Monsieur Météo m’appelle. C’est mon fils, tout jeune ingé météo. Nous échangeons sur mon voyage en coquille métallique, sur la situation politique et sociale, et… sur la traîne qui passe derrière le front chaud.
Séance photo ensuite, attendant la bonne lumière, les bons grains. Puis un moment magique lorsque je me retourne : la capitainerie éclairée par un soleil couchant se reflétant dans les vitres, et à l’arrière un nuage splendide et majestueux. Clic-clac.





La nuit tombe, il faut trouver un endroit où poser la coquille et son contenu. Après plusieurs tours de manège parmi les sens interdits et les rues en travaux et une extinction soudaine de l’éclairage public, le parking repéré sur maps est là. Il fait sombre, je vérifie que le parking est en hauteur par rapport à la mer et pas trop près non plus. Le bulletin météo n’a rien d’inquiétant, méfiance tout de même.
Et en route pour une nuit de (presque) sommeil dans la coquille. Abat d’eau sur abat d’eau. Premier mitraillage de grêle. Silence. Averse d’eau. Silence. Début de grêle, bruit de plus en plus intense. Peur de grêlons grossissants. Très inquiète, j’imagine le pare-brise impacté. La nuit, l’imagination est productive. Le grain passé, je sors, je ne vois que des grêlons sur le capot, aucun impact sur le pare-brise. Ouf ! Je rentre dans la coquille, m’enferme, et je m’endors.
Réveillée au matin par des voix. Des promeneurs matinaux.

Acte III
Un brin de toilette, je m’habille et je quitte la coquille.
Un beau soleil, vite le boîtier et je descends sur la plage. Magnifique lumière de début de journée.
Clic-clac.
Nous sommes jeudi matin.
Départ vers le puits de l’Enfer. Un nom pareil invite plutôt à éviter la zone. Repérée sur maps une zone rocheuse au sud des Sables-d’Olonne.
Voilà qui est intéressant : un bout de Bretagne en Vendée, à 150 kilomètres au nord de La Rochelle !
Le massif hercynien est là, sous mes yeux. Exactement, le témoignage de son existence il y a autour de 400 millions d’années.
Un petit tour et ce fameux puits est bien présent, un sillon de forme rectangulaire d’environ dix mètres de profondeur dans lequel les vagues viennent mourir. De la mousse, beaucoup de mousse, on y plongerait. Un plongeon très certainement mortel.
Après vision des photos à saisir, je vais chercher le matériel, puis clic-clac, et… une douche d’eau de mer. Pas très bon pour le matériel, je nettoierai plus tard. Un grain monte au loin, encore des photos, et début de grêle. Vite dans la fourgonnette !
Encore quelques photos une fois le matériel essuyé.








La faim arrive. Des éléments dans la glacière pour me sustenter mais… une envie de pizza. Recherche de pizzaiolo sur les Sables, je tourne et retourne affrontant divers sens interdits ; les sens interdits sont un nouveau sport national dans les communes. J’arrive enfin sur un quai et y trouve une pizzeria recommandée. Un bassin et de l’autre côté le port de pêche et industriel des Sables. Il pleut, il pleut très fort, des hallebardes disent les allemands. Une place près du restaurant cinquante mètres plus loin. Trempée, les cheveux en bataille, la mine fatiguée d’une mauvaise nuit, chaussures de marche aux pieds, je pénètre dans l’entrée de cette pizzeria très chic. Décors modernes, clientèle csp+, personnel comme sorti d’un lycée hôtelier, je débarque. Comme lorsque je naviguais l’hiver, descendant de voilier, une extra-terrestre arrivait sur terre. Me revient à l’esprit cette fois où, après une vingtaine d’heures de traversée de la Manche (Chanel convenant davantage), venant de l’île de Wight, nous accostions à Guernesey (ou Jersey). Une bonne sieste, et un petit tour sur le port : l’horreur ! A peine réveillée d’une navigation hors de la civilisation, je me retrouvai à New-York, ou Monaco plutôt : le choc !
Le choc pour les employés et le patron de cette pizzeria haut de gamme des Sables : une sdf débarque dans notre restaurant !
C’était un peu l’impression que j’avais.
Pour éviter que la tache que je formais sur ce tableau bachique, façon Vème arrondissement, ne perturbe plus longtemps l’assistance, je décidai d’emporter ma pizza et d’aller la déguster au calme dans ma coquille.
Un bonheur : pâte croustillante, ingrédients de très bonne qualité ! Un niveau rarement atteint hormis chez Peponne à Bordeaux.

Acte III, scène 3.
Dernière étape avant le retour à La Rochelle : un phare aperçu au loin depuis le puits de l’Enfer.
Garée à côté du phare, effondrement corporelle. Une sieste quoi !
Le cerveau redevenu à peu près opérationnel, quelques clichés. Clic-clac.
Puis déplacement un peu plus loin : clic-clac.
Nous repartons ma coquille et moi.




Sur un panneau : Bourgenay.
Ce port que j’ai vu en construction il y a une quarantaine d’années. J’étais avec mes parents et notre chien, un cocker.
Je m’arrête, m’imprègne de la scène : du vent encore, la mer et des nuages. Un grain s’approche, il est déjà en partie sur moi. Une photo m’apparaît. Vite, le matériel. Clic-clac.
Face à moi le pertuis Breton, accès possible vers la Bretagne en partant de La Rochelle. Souvenirs de ballades vers Saint-Martin, La Flotte, Ars-en-Ré, souvenir d’une semaine vers Yeu et Noirmoutier. Quelques navigations avec mes enfants aussi, dont la monitrice de voile qu’est devenue ma fille.


Mon périple vendéen se termine, suit une pause rochelaise avec mon papa, chez lui. Dehors le vent, la pluie. Contente de déjeuner avec lui, chez lui, et de passer l’après-midi de vendredi avec lui, dans sa maison. La fin d’après-midi approche, je le ramène à l’ehpad.
Lui permettre de revenir dans sa maison, le plus souvent, tant qu’il peut se mouvoir un peu. Quatre-vingt onze ans dans une quinzaine de jours. Cela lui fait du bien de se retrouver chez lui. Une perte totale d’autonomie fin 2021 nous a contraintes à le placer en ehpad début 2022 sinon il serait parti. Par chance l’ehpad est à quelques centaines de mètres de sa maison.
Saleté de condition humaine !
Vent, grains, pluies, mer m’attirent encore à eux. Direction le port des Minimes. Ah, cette eau de mer qui coule dans mes veines !
Sans de tels bains de mer réguliers, je meure.
Un étroit pinceau de lumière vient caresser de ses poils photoniques les vagues en avant de l’horizon. Multiples reflets étincelants contrastant avec la noirceur du grain : un clair-obscur à saisir rapidement !
Clic-clac.
Des voiles de véliplanchistes renvoient la lumière solaire comme des métaux.
Un couple d’amoureux se tient debout face à l’immensité de la mer ; le phare du bout du monde jaillit des vagues en arrière plan.
Des catamarans siamois attendent leur libération vers les Antilles lointaines.
Il est tard. Fin de l’Acte.





Acte final.
Samedi 15 avril. Encore une longue journée en perspective dans ma coquille. Direction Oléron.
Marennes, second passage, la boucle n’est pas bouclée, un nœud, l’intersection d’une courbe bouclée sur elle-même. Semblable au ruban de Moebius.
Des bateaux de pêche, une jetée percée de trous cylindriques amortisseurs de houle. Des dispositifs multicolores (collecteurs de naissain) destinés à l’élevage des huîtres. Un fort se dresse en mer présentant son visage au continent, tournant le dos à Oléron.
Je m’engage sur le pont d’Oléron, destination La Cotinière. Et son port de pêche. Quand suis-je venue sur cette île ? Une vingtaine d’années se sont écoulées depuis mon dernier passage ici. Je ne suis pas certaine.
Il y a trente ans assurément, en voilier, de La Rochelle, avec mon amie de l’époque, nous avions dormi au Château (nom du premier village à la sortie du pont), dans le bateau amarré directement au quai.
Des maisons, des maisons, là où j’avais souvenir de près, de marais, secondaires majoritairement.
Constructions partout pour deux, trois, quatre semaines par an ; voire un peu plus pour d’autres. Quel gaspillage !
Ah le rêve de la propriété individuelle ! Honnêtement, je rêve aussi d’un logement avec vue sur la mer, pour y vivre. Dans une autre vie, peut-être ?
Le port est en travaux, contourner là encore les sens interdits et m’arrêter là où s’élevaient les bâtiments du port de pêche dans ma mémoire.
Le petit port de pêche de mes souvenirs n’est plus ; le nouveau port de pêche est de l’autre côté du bassin portuaire, sur un autre quai d’une zone interdite d’accès à n’importe qui.
Partout installations portuaires, industrielles comme de pêche, ne sont plus autorisées d’accès à tous. Ah la promenade dominicale du môle d’escale du port de La Pallice (La Rochelle) ! Finie aussi. L’accès aux pontons des ports de plaisance se restreint également.
Circulez là où l’on vous autorise, et c’est comme ça !
Je suis donc déçue de cette halte à la Cotinière.
Un ponton de pêcheur semble accessible. Je dois longer les quais pour peut-être trouver un accès fermé. Mes douleurs articulaires me commandent non !
Ainsi je repars, passant par quelques marais.
Pour me rendre à la Cotinière je m’attendais à des marais sous les couches les plus profondes de mon grenier. J’avais environ 9 ans, j’étais en primaire, mes instituteurs avaient organisé une classe de mer à Dolus, dans un centre de vacances. Quel cirque j’avais fait à mes parents pour ne pas y aller. Saloperie de cordon ombilical !
Et une fois sur place j’étais ravie. C’était super. Quarante-sept ans après je m’en souviens et en garde un merveilleux souvenir.





Je cherche des points de vue et finis par atterrir au Château d’Oléron.
Souvenir de ce quai auquel le bateau avait été amarré, souvenir d’une place du village.
Et là, trente ans après, un quartier de cabanons en bois, colorés, beaucoup de boutiques à touristes mais un quartier néanmoins agréable à voir. Cabanons posés le long des douves du bastion Vauban.
Des couleurs, du bois, des textures différentes, des nervures, des formes géométriques. Éclosion de photographies dans ma tête. Clic-clac, clic-clac, clic-clac, clic-clac. Tout un univers fixé sur le capteur.
Un café. Je reprends la coquille mobile, me rends avec au bout du quai, et le continent face à moi. Je me passe du Saez, « tous les gamins du monde », il me semble, chanson terrible, paysage superbe face à moi, je pleure de joie face à la mer et de tristesse par le sujet évoqué par cette chanson.










L’heure avançant, direction Royan, en passant par un village le long de la Seudre, rive gauche cette fois. Village où un épisode de « capitaine Marleau » a été tourné. Du vent sur la Seudre. Un bateau de pêche tire sur son coffre. Les pavillons de ses bouées de casiers fouettent l’air sous l’action du vent. Belles couleurs, force des éléments. Clic-clac. Des plates alignées. Clic-clac.
Je repère un restaurant-bar de l’autre côté du chenal, me rappelant celui de Marleau, je fais le tour et me retrouve devant le lieu d’une scène de cette épisode. Le bar est fermé. J’imagine Masiero jouant ici avec Dalle.
Nouveau saut, cette fois côté estuaire, à l’embouchure de la Gironde précisément : à Vaux-sur-mer.
Je cherche à m’approcher de la côte, et trouve sur ma route un quartier privé avec de grands panneaux-frontières indiquant qu’il est interdit de faire ceci ou cela, bref, interdit aux gueux !
Fantastique propriété privée qui permet tout !
Une crique soudain, je parque la coquille, et me ballade un peu le long d’un sentier côtier bordant le quartier privé. Envie de hurler : mort aux bourgeois !
J’appelle celle que j’aime, nous échangeons, refaisons le monde, je lui décris la beauté et l’étrangeté de cette côte tailladée profondément.
Clic-clac. Pause longue. Bof, pas terrible !

Le soir tombe, une photographie étoilée me vient, je connais l’endroit, au sud de Royan, une plage entre des gros cailloux, entre des falaises ; endroit repéré toujours grâce au même épisode.
Sur le chemin, coucher de soleil sur l’embouchure de la Gironde. La faim m’arrête. Face à la mer, face au Verdon, je dîne. Quel plaisir ! Le bonheur, c’est souvent pas grand-chose.
A une quinzaine de mètres au-dessus de l’eau, au loin l’infini de la ligne d’horizon.
Allégorie, symbole, emblème de la liberté que cette ligne d’horizon ? Quelle me manque ici, en ville. Sensation d’étouffement, d’étouffer, suffocation lorsque mon regard bute sur ces immeubles. Libération lorsque cette ligne m’apparaît.
Angoisse aussi quand cette ligne finit par vous englober à 360 degrés en pleine mer.
Angoisse vécue au moment précis de la disparition de la côte de Roscoff vers l’Angleterre. Ressentie aussi à l’instant précis de l’effacement du phare de Chassiron en nous enfonçant dans le Golfe de Gascogne.
Puis vient l’ivresse de cette ligne-cercle où plus aucune côte n’est en vue, plus aucun navire : sensation de liberté absolue.
Ce soir-là une ligne, un segment de droite dit-on en mathématique, vers le sud-ouest. Le regard fuit là-bas, loin du monde, pour y capter des millions de mètres-cube d’oxygène.
Nous sommes à la limite de l’heure bleue et de la nuit.


Je repars vers la plage pour ma photographie d’étoiles. Emplacement trouvé. Pause longue, coup de flash à diverses puissances vers la falaise. Changement de point de vue. Pas simple d’arriver au bon emplacement, il fait nuit, attendre que les pupilles se dilatent.
Clic-clac, clic-clac.
Un pêcheur à pied est ébloui au loin par le flash, il se déplace avec sa lampe puis part.
Clic-clac.
Un dernier voyage, dans l’espace cette fois, au milieu des étoiles. Les lumières du Verdon à l’horizon se reflètent dans des flaques d’eau de mer laissée par la marée. Magnifique spectacle. La mer gronde plus loin. Toujours un peu inquiétant car il fait nuit. L’imaginaire se défoule.
La fatigue tombe, il est tard, je dois rentrer sur Bordeaux.
1h30, dimanche matin. Je range mon matériel chez moi et vais me coucher.
Fin du dernier acte. Fin de cette fuite provisoire.
Retour au monde depuis. Triste monde. La vue sur la mer de mon appartement exige de puiser dans toutes ces images, dans toutes ces odeurs, tous ces bruits, toutes ces sensations vécus dans le corps durant quatre jours. Une vue imaginaire.
22 avril 2023
Véronique
Plusieurs séries de photographies de ce voyage.
Cliquez sur la première photo de chaque série et vous aurez accès à un diaporama en taille plus grande.

































































